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YVONNE, PRINCESSE DE BOURGOGNE

De Witold Gombrowicz | Mise en scène Jacques Vincey

04 Nov. ► 07 Nov. 2014

Mar. et mer. 19H30 | Jeu. et ven. 20H30 | T400 

Rencontre à l’issue du spectacle le 5 nov.

Durée 2h15

Soirée Enfants le 7 nov. | 3€ - Réservation 02 41 22 20 20

Spectacle en audio-description le 5 nov.  

Jacques Vincey

Un prince choisit par défi d’aimer une fille du peuple, laide et taciturne. Pour sa première mise en scène au Centre dramatique régional de Tours dont il a pris la direction en janvier 2014, Jacques Vincey crée cette tragi-comédie ubuesque du grand auteur polonais disparu en 1969.

Le prince Philippe, héritier du trône, rencontre à la promenade une fille sans charme. Cette pauvre Yvonne a tous les défauts :  empotée, timide, peureuse, ennuyeuse… Le prince ne peut la souffrir, mais pourquoi ne devrait-on aimer que les jeunes filles séduisantes ? Sur un coup de tête, par défi, il la prend pour fiancée et l’introduit à la cour. Le roi et la reine sont accablés… Yvonne devient le miroir d’une société malade qui va se transformer en une couveuse de monstres. L’engrenage de la violence est en place…

En plaçant Yvonne au cœur de sa pièce, Gombrowicz dynamite la comédie politique, sociale et amoureuse dans laquelle chacun tient sa partition. « Le génie de Gombrowicz est de rendre poreuses des frontières ordinairement étanches, note le metteur en scène. Il n’est pas question de stylisation de bon goût, ou de mise à distance polie : ici, c’est le réel qui cogne et fait vaciller le théâtre. »

Cette farce grinçante nous entraîne aux frontières de l’absurde et du grotesque, pour en traquer les résonances dans notre réalité quotidienne.

PROGRAMME DE SALLE

Frayer un chemin à travers l'iréel jusqu'à la réalité

Pourquoi êtes vous comme cela, mademoiselle ?
Yvonne exacerbe le désir et la peur chez tous ceux qui l’approchent. Yvonne réveille les pulsions et fissure le vernis de la bienséance. Yvonne révèle en chacun ce qui doit rester tu, caché, secret. Yvonne est un grain de sable qui grippe la mécanique rassurante de la cause et des effets. Yvonne donne le vertige. Yvonne déclenche la panique. Yvonne ne parle pas. Son mutisme est une provocation insupportable dans ce royaume imaginaire où la parole n’est plus que le masque de la vacuité.
Pourquoi mademoiselle ? Pourquoi servez servez- vous toujours de bouc… enfin de chèvre émissaire ? C’est une nature ?
Malgré les tentatives d’apprivoisement, Yvonne reste étrangère aux usages du monde. « Elle a le sang trop lent » disent ses tantes. Comme les infrasons que l’on perçoit sans les entendre, l’infra-humanité d’Yvonne entre en résonance avec les corps et les âmes sans passer par les canaux habituels de la communication. Yvonne bouleverse ou exaspère sans qu’on comprenne pourquoi.
Yvonne s’expose aux humiliations et aux sarcasmes sans même se défendre. Yvonne est insaisissable et inassimilable.
Oui, oui ! Il faut écraser ce cafard lugubre ! C’est un devoir absolu !
« Bouc… chèvre… cafard… guenon. » Lorsque le rejet et la haine s’enracinent dans des peurs irrationnelles, il ne reste plus qu’à repousser l’ennemi désigné hors des frontières de l’humanité, vers les zones inférieures de la sauvagerie et de l’animalité. Yvonne est le miroir d’une société malade. La Cour tourne à vide, prisonnière de son cynisme et victime de ses névroses nombrilistes. Le Prince tente l’impossible pour chasser son ennui mais il n’est pas assez solide pour accueillir le chaos de l’amour brut que lui offre Yvonne. Le Roi et la Reine sont puissants et désinhibés mais ils entretiennent un ordre politique désespérément vide de toute consistance réelle. « L’un des objectifs principaux de mon écriture, c’est de se frayer un chemin à travers l’Irréel jusqu’à la Réalité. » Le génie de Gombrowicz est de rendre poreuses des frontières ordinairement étanches. L’irréalité du monde qu’il décrit dans sa pièce nous est étrangement familier. Cette famille royale, à l’instar de celles d’Espagne ou d’Angleterre qui alimentent régulièrement les tabloïds, n’est constituée que de « gens comme nous » qui composent entre leurs aspirations profondes et le rôle qu’ils doivent jouer sur le « grand théâtre du monde ». Roi, Reine, Prince et courtisans sont les pièces d’un échiquier régi par des règles communes auxquelles tous doivent se plier. Empotée, apathique, anémique, timide, peureuse et ennuyeuse, Yvonne ne joue pas le jeu d’une civilisation qui érige la santé, la séduction, l’audace et l’hyper activité en vertus cardinales. Sa nature révèle, malgré elle, l’artificialité d’une culture qui n’est que poses et gesticulations stériles. Son inadaptation au monde tel qu’il est fait affleurer une théâtralité à laquelle tous sont devenus aveugles. Et comme dans l’allégorie de la Caverne de Platon, elle sera mise à mort pour avoir laissé entrevoir que ce qui passait pour réel n’était en fait qu’un jeu d’ombres.
Dans le prolongement de La Vie est un rêve de Calderón et de mes précédents spectacles, Yvonne, princesse de Bourgogne me permet d’approfondir mon questionnement sur la nécessité et les limites du théâtre. En plaçant Yvonne au coeur de sa pièce, Gombrowicz dynamite la comédie politique, sociale et amoureuse dans laquelle chacun tient sa partition. Yvonne crée de l’incertitude sur la représentation et l’ordre des choses, installe un autre rapport au temps et à l’espace, à l’image, au beau et au laid. Yvonne n’interprète rien, ne représente rien, n’exprime rien. Sa présence atone fait dysfonctionner le théâtre : c’est parce qu’elle est vraie que les autres paraissent faux. « Les héros de la pièce sont des gens tout à fait normaux, mais qui se trouvent dans une situation anormale » avertit Gombrowicz dans sa préface. Cette normalité qui dérape progressivement dans la monstruosité doit trouver une vérité sur le plateau à la mesure de la brutalité de la situation. L’outrance des comportements ne doit pas se réfugier dans une surenchère théâtrale qui en atténuerait la violence. L’Irréel rattrape la Réalité dans ce déchainement des pulsions qui réunit scène et salle dans un vertige commun. Si la pièce nous entraîne par moments jusqu’aux frontières de l’absurde et du grotesque, c’est pour en traquer les résonnances dans notre réalité quotidienne. Il n’est pas question de stylisation de bon goût, ou de mise à distance polie : ici, c’est le réel qui cogne et fait vaciller le théâtre.
Jacques Vincey, novembre 2013

WITOLD GOMBROWICZ
Witold Gombrowicz naît en 1904 dans une famille de la noblesse terrienne, au sud de Varsovie. Après une licence de droit, il séjourne un an en France, puis fréquente les cafés littéraires en Pologne. Mémoires du temps de l’immaturité, un recueil de contes, paraît en 1933. Les publications se succèdent : Ferdydurke en 1937, une pièce de théâtre, Yvonne, princesse de Bourgogne, en 1938, un roman, Les envoûtés, qui paraît en feuilleton en 1939.
Un mois avant la déclaration de la guerre, il embarque pour l’Argentine et s’installe à Buenos Aires. En 1947, il entre comme employé à la société Banco Polaco où il restera huit ans. En 1953, il fait paraître Trans-Atlantique en polonais ainsi que quelques extraits traduits en français. Entre 1959 et 1961, il écrit des textes pour Radio Free Europe ; ces textes seront publiés après sa mort sous le titre Souvenirs de Pologne et Pérégrinations argentines. Une première partie de son Journal paraît en 1957. En même temps, certaines de ses oeuvres sont publiées en Pologne avant d’être rapidement interdites. Elles le resteront jusqu’en 1986. En 1958, Ferdydurke paraît en France. La Pornographie paraît en 1960, suivie, en 1962, du premier volume du Journal. Le 8 avril 1963, il quitte l’Argentine pour Berlin-Ouest. À Paris, on joue pour la première fois en Europe une de ses pièces, Le Mariage. En 1964, il s’installe à Vence, dans les Alpes-Maritimes. Durant ses dernières années, il publie Cosmos, qui obtient le Prix international des éditeurs (1967), une nouvelle partie de son Journal (1966), et Opérette (1967). Les Entretiens avec Dominique de Roux paraissent en 1969 et seront repris sous le titre Testament (Gallimard, 1966, coll. Folio essais). Il meurt quelques mois plus tard, à Vence, le 24 juillet 1969.

JACQUES VINCEY
D’abord comédien aux côtés de Patrice Chéreau, Bernard Sobel ou Gabriel Garan, Jacques Vincey fonde, en 1995, la compagnie Sirènes. Explorant tout à la fois, le répertoire classique et contemporain, il est artiste-associé à la Scène nationale d’Aubusson de 2008 à 2011 et au Théâtre du Nord - CDN Lille-Tourcoing de 2011 à 2013. Il met en scène Amphitryon de Molière à la Comédie-Française en 2012 et La vie est un rêve de Calderon en 2013. Il a pris la direction du Théâtre de l’Olympia – Centre dramatique régional de Tours en 2014.