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TRAHISONS

De Harold Pinter | Mise en scène Frédéric Bélier-Garcia

30 Oct. ► 31 Oct. 2014

Soirée Enfants le 31 oct. | 3€ - Réservation 02 41 22 20 20

© Cosimo Mirco Magliocca / coll. Comédie-Française

Retour de Frédéric Bélier-Garcia à la Comédie-Française pour la création d’une pièce de Harold Pinter, Prix Nobel de littérature 2005. Denis Podalydès, Laurent Stocker, Christian Gonon et Léonie Simaga interprètent les variations conjugales de cette partition virtuose en neuf tableaux. 

Midi, au printemps. Un bar. Au fond de la salle, Jerry et Emma se retrouvent deux ans après leur séparation. Elle est la femme de Robert, éditeur, vieil ami et plus que tout partenaire de squash de Jerry. À partir de ce point, Harold Pinter remonte le cours d’une intrigue amoureuse entre trois amis : des ruptures jusqu’aux rencontres, des aveux aux mensonges, des secrets aux trahisons, il renverse le cycle du temps, détrame les scénarios où chacun a construit sa propre vérité...

Créé en 1978 à Londres et adapté au cinéma en 1982 avec Jeremy Irons, Trahisons reprend l’équation du théâtre bourgeois – le mari, la femme, l’amant – mais la déconstruit subtilement… 

Frédéric Bélier-Garcia admire dans Trahisons « la précision de miniaturiste de Pinter. Sur le thème ordinaire de l’adultère s’écorche progressivement ce qu’on pourrait appeler le paradoxe de la trahison, qui est à la fois ce qui condamne une histoire et l’effort héroïque et masqué pour la sauver, une fidélité dévoyée à la promesse première de l’amour. »

Quatre comédiens d’exception jouent ce chef-d’œuvre du théâtre britannique créé au Théâtre du Vieux Colombier cet automne.

PROGRAMME DE SALLE

Une trahison au pluriel
Le sujet de Trahisons est un thème très ordinaire : une femme, deux hommes. Le coup de génie de Pinter tient d’abord dans sa stratégie narrative : raconter cette histoire adultère à rebours. Ce qui semble au départ ne modifier que l’ordre des scènes transforme en fait autant l’angle d’attaque de notre regard sur ce sujet que l’objet lui-même. Pinter révèle, grâce à son protocole, la profondeur opaque, la fragilité originelle de l’alliance amoureuse ou amicale. Partant d’une capture réaliste, confinant à l’exercice de style, Betrayal est un objet hors genre, à appréhender selon moi hors de tout contexte, comme une petite équation sur l’amour, une curiosité du théâtre contemporain. L’habileté du traitement tient dans l’absence d’identification claire entre victime et coupable.
Qui des trois est la victime ? Le mari ? L’amant ? La femme exclue de l’amitié passionnelle des deux hommes ? Qui a l’intelligence affective la plus grande ? Où est le cynisme, où la naïveté ? Les rôles du traître et du trompé ne cessent de circuler dans ce trio où chacun fait à sa manière proliférer la trahison. Le discours, très politique, de Pinter pour le Nobel ouvre des perspectives intéressantes sur l’intime, tant il use des catégories du mensonge, du secret et de l’aveu. Il y conteste toute distinction tranchée entre réel et irréel, entre le vrai et le faux et développe une vision « clinique » ou politique de l’intime et de l’amour, ni proprement optimiste ni pessimiste.
Tout son art est de capter la dimension troublante, le tremblé au coeur de la relation.
Un théâtre de l’ellipse
La beauté de la pièce tient à son écriture elliptique et à un art de la chute extraordinaire. Chacune des neuf scènes est une petite intrigue qui peut basculer indistinctement vers un crime épouvantable ou un éclat de rire. Il suffit parfois d’un geste, d’une caresse inattendue, d’une réponse succincte pour exprimer subitement une de ces morts qui traversent nos existences, la mort d’une relation, l’assèchement de l’ivresse amoureuse. Dans ce théâtre de conversation drôle et brillant, les personnages restent, même dans leurs souffrances, très spirituels. Cette ambivalence fait d’eux des équilibristes de la pensée, à la fois très élégants et en totale perdition. Pinter ne fait pas tomber des masques, il articule la pièce sur des réévaluations successives des personnages, de leurs motifs, de leurs sentiments réciproques, comme si on forait le sol géologique d’un amour ordinaire. Dans cette descente, les silences sont de vraies didascalies. Ils créent un écho à des phrases apparemment anodines qui viennent d’être égrainées. Il s’agit encore de capturer une vérité de la vie, qui ne se donne qu’en fragments, de saisir le fuyant, l’indicible : ce qui arbitre le mouvement de la vie plus que les grandes décisions volontaires et conscientes.
Une histoire de malentendus
La question de l’adultère est un prétexte au décryptage d’un instant affectif. La pièce joue avec le détail un peu à la façon du genre policier. La ligne non chronologique annule tout effet de surprise habituel ; le suspense ne portant pas sur le dénouement, mais sur ce qui a en eux fabriqué cette longue chute. Une des difficultés pour les acteurs est de trouver cet élan qui ne va pas vers la promesse d’un avenir mais vers le passé. Plus la pièce avance, plus elle se réchauffe. Après les deux premières scènes, qui autopsient la fin d’un amour, on remonte vers le vivant. Pour moi, chaque scène est en soi l’histoire d’une méprise. La trame ouvre un jeu sur les possibles et engage une autre forme de fatalité. Quand on va de l’avant à l’après, de la cause à l’effet, l’histoire amoureuse semble celle d’une nécessité à l’oeuvre, d’un fatum. Les êtres s’y rencontrent, se déçoivent, se trompent éventuellement, puis se séparent. En remontant avec Pinter de la chute vers la source, de l’aveu vers la faute, l’histoire amoureuse devient le récit d’un malentendu. Chacun de ces individus fait de sa vie un couloir d’excuses, tous manoeuvrent avec leur propre impuissance – non pas dans un sens moral mais par rapport à leur propension à s’accommoder d’une situation intenable. C’est une vision assez tragique de l’amour, si par tragique on entend d’abord l’absence totale de justification des choses et du sens de la vie. Mais on le sait, la vision lucide du caractère tragique de la vie n’interdit pas, et permet même, une profonde et intense jubilation.
Frédéric Bélier-Garcia
propos recueillis par Chantal Hurault,Théâtre du Vieux-Colombier


HAROLD PINTER
Comédien, scénariste et dramaturge anglais, Harold Pinter (1930 – 2008), prix Nobel de littérature en 2005, participe au renouveau théâtral britannique dans les années 1950. Le malaise et la cruauté qui se dégagent de ses premières oeuvres, qualifiées de « théâtre de la menace », évoluent vers l’exploration de l’intimité puis, à partir des années 1980, vers le politique. Outre les relations de couple qui sont au coeur de ses pièces écrites pendant sa période intermédiaire – La Collection (1961), L’Amant (1962), C’était hier (1970) et Trahisons (créé en 1978 et adapté au cinéma en 1982) –, la mémoire est un de ses thèmes récurrents. Trahisons reprend l’équation du théâtre bourgeois – le mari, la femme, l’amant –, mais la déconstruit grâce à son artifice narratif pour révéler l’essence, la profondeur et les méandres de ce lien.

FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA
Directeur du Nouveau Théâtre d’Angers depuis 2007, Frédéric Bélier-Garcia enseigne la philosophie avant de se consacrer à la mise en scène de théâtre, d’opéra ainsi qu’à l’écriture de scénarios. Il monte Un Garçon impossible de Petter S. Rosenlund en 2000 à la Comédie-Française. Il obtient le prix du Syndicat de la critique pour Hilda de Marie NDiaye en 2002. Il met en scène avec Denis Podalydès en 2007 Le Mental de l’équipe, coécrit avec Emmanuel Bourdieu. Au Nouveau Théâtre d’Angers, il crée successivement des oeuvres de Heinrich von Kleist (La Cruche cassée), Ferenc Molnár (Liliom), Hanokh Levin (Yaacobi et Leidental et Yakich et Poupatchée), Christian Oster (La Princesse transformée en steak-frites).
En 2012, il monte La Mouette de Tchekhov, repris au Théâtre Nanterre-Amandiers en septembre, et en 2013, Perplexe de Marius von Mayenburg. Cette saison, il crée à Angers Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset.