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LA PLUIE D'ÉTÉ

Sylvain Maurice

06 Jan. ► 09 Jan. 2015

Mar. et mer. 19H30 | Jeu. et ven. 20H30

Rencontre à l’issue du spectacle le 7 jan.

Soirée Enfants le 9 jan. | 3€ - Réservation 02 41 22 20 20

© Atelier P. Bretelle

De Marguerite Duras

Mise en scène Sylvain Maurice

 

Enfant d’une famille d’immigrés, Ernesto refuse d’aller à l’école. Une fable sur la construction de soi-même à ce moment si particulier de l’adolescence. Pour retrouver une couleur particulière de l’écriture de Duras, concrète et drôle à la fois.

« À l’école, on m’apprend des choses que je sais pas ». Ernesto ne sait ni lire ni écrire, mais il refuse d’aller à l’école. La pluie d’été raconte avec humour et humanité l’histoire d’une famille d’immigrés – le père, la mère, les nombreux enfants – à Vitry-sur-Seine. Grâce à la découverte d’un livre brûlé (en fait L’Ecclésiaste de l’Ancien Testament), Ernesto va être littéralement habité par une connaissance inédite et instinctive. Il va faire évoluer tous les personnages et bouleverser les repères habituels. Mais la vraie connaissance d’Ernesto se construit à travers l’expérience : l’amour des parents, le désir partagé avec sa sœur Jeanne, le deuil de l’enfance.

La Pluie d’été est un roman dialogué, souvent adapté et mis en scène pour le théâtre. Duras invente ici une langue originale et drôle qui donne l’illusion « qu’on pense comme on parle ». La figure d’Ernesto décale et transforme les obsessions de l’auteur : la mère extraordinaire et dévorante, la passion amoureuse entre frère et sœur, la pauvreté et le déracinement, la Shoah… C’est sans pathos ni sentimentalisme. Juste comme la vie, à la fois grave et léger.

PROGRAMME DE SALLE

À la fin de sa vie, Marguerite Duras revisite dans La Pluie d’été, tous les grands thèmes de son oeuvre : l’amour et la folie, la puissance du désir, la déchéance sociale et la guerre, la transmission et la création. Ce récit d’apprentissage raconte comment Ernesto, un enfant issu d’un milieu défavorisé va s’émanciper et comment cet enfant sans culture va inventer une forme de connaissance singulière. Ernesto, en effet, va se voir transformé grâce à la lecture d’un grand livre brûlé – L’Ecclésiaste dans l’Ancien Testament. Avec simplicité et démesure, Duras fait d’Ernesto – celui qui ne sait rien – une conscience de notre temps.

" La fable de Duras est à la fois très simple, concentrée sur le parcours d’Ernesto avec des personnages aussi décalés que concrets et une parabole sur le savoir, la connaissance avec une dimension métaphysique. On peut effectivement parler de simplicité... La Pluie d’été est une oeuvre directe grâce à une langue très orale qui se déploie dans les dialogues vifs et étrangement drôles. Comme la langue d’origine des personnages n’est pas le français ou bien qu’ils sont analphabètes, Duras invente une langue originale. Surtout elle donne l’illusion « qu’on pense comme on parle ». Les pensées s’énoncent en direct, au présent, dans un étonnement permanent. Ernesto et sa mère, qui fonctionnent en miroir, accouchent de ce qu’ils ont à dire en même temps qu’ils le disent. La pensée est sur un fil, dans une continuelle reformulation. Les pensées les plus hautes se heurtent à la trivialité d’un parler populaire. En cela, il y a une dimension clownesque : les personnages sont très typés, leur langage est maladroit et, en même temps, ils sont traversés de fulgurances métaphysiques. Cette dimension philosophique, au début de la fable, est très peu présente. Mais au fur et à mesure qu’Ernesto acquiert de nouveaux savoirs (et il assimile tout), il va être traversé par « une conscience de l’inconnaissable ». Ernesto se sert du grand livre brûlé, L’Ecclésiaste. En même temps qu’il s’identifie à David, roi de Jérusalem, il en acquiert la pensée tragique : « J’ai compris que tout est vanité / Vanité des vanités / Et Poursuite du Vent ». Duras attribue à Ernesto – celui qui ne sait rien – la conscience que le véritable savoir est d’une autre nature que le savoir lui-même. Et à travers ce procédé, Duras reconvoque tous les grands thèmes qui traversent son oeuvre : la figure d’une mère extraordinaire et dévorante, la passion amoureuse entre frère et soeur, la pauvreté et le déracinement, l’effroi partagé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec son mari Robert Antelme qui revient des camps… On peut ainsi privilégier une lecture autobiographique où Duras reprend ses grandes obsessions. Oui, tout est là, jusqu’à l’alcool, quand les parents partent se saoûler dans les rades de Vitry et ses environs. On peut également faire une analogie avec le Vitry-sur- Seine imaginé par Duras et le souvenir du Vietnam où Marguerite a passé toute son enfance. La pluie d’été qui tombe fait penser à la mousson... Mais je vois une singularité propre à cette oeuvre, qui est de nature à fédérer les durassiens et ceux qui sont plus sceptiques face à cet auteur : la figure d’Ernesto (Duras dit s’être inspirée de Outa, son propre fils) décale et transforme les obsessions de l’auteur. Elle les allège, elle donne une place au rire, à la distance. C’est à la fois grave et léger, sans pathos. Ce projet porte sur un texte extérieur au répertoire théâtral. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? Comment s’est faite l’adaptation pour la scène ? La Pluie d’été est un roman dialogué, souvent adapté et mis en scène pour le théâtre. Il est assez évident d’en faire une version scénique : il s’agit surtout de repérer les coupes. La question la plus sensible concerne les passages narratifs : pour ma part, je fais le choix de les limiter au strict nécessaire. Et même quand c’est possible, je préfère recréer le dialogue plutôt que de garder le récit. Nous sommes ici dans un dispositif scénographique léger, pour mettre en jeu les relations entre les personnages. Dans quelle scénographie aura lieu cette Pluie d’été ? Dans ce projet, ce sont les rapports des corps entre eux et la présence des acteurs qui guident les choix. Deux idées guident le travail : un espace ouvert, non figuratif, où ce sont les accessoires qui donnent sens à l’espace ; un espace évolutif, qui raconte le parcours d’Ernesto, de sa « venue au monde » à son départ pour l’Amérique."
Sylvain Maurice
Propos recueillis par Nicolas Laurent

Sylvain Maurice
Ancien élève de l'École de Chaillot, Sylvain Maurice fonde en 1992 la compagnie L'Ultime & Co, puis dirige le Nouveau Théâtre–CDN de Besançon et de Franche-Comté de 2003 à 2011. Parmi une vingtaine de mises en scène, on notera en particulier De l'aube à minuit de Kaiser (1994), Un fils de notre temps d'Horváth (1995), Thyeste de Sénèque (1999), Kanzlist Krehler de Kaiser (2002, Berlin), OEdipe de Sénèque (2004), L'Apprentissage de Lagarce (2005), Les Sorcières de Roald Dahl (2007), Peer Gynt d'Ibsen (2008), Richard III de Shakespeare (2009). La pratique de Sylvain Maurice s'oriente actuellement sur les relations entre les disciplines artistiques : la marionnette, les arts visuels, la musique dans ses différentes formes. Il adapte et met en scène pour le théâtre musical La Chute de la maison Usher d'après Edgar Poe (2010), Dealing with Clair/Claire en affaires d'après un texte inédit de Martin Crimp (2011) et Métamorphose d'après Franz Kafka en 2012. Il dirige le Centre Dramatique national de Sartrouville et des Yvelines depuis janvier 2013.