autour d'Échappées
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Ce projet est né d’un désir d’actrices, peux-tu nous en dire plus ?
C’est un désir d’actrices relativement récent, pour et avec Émeline Frémont avec qui je travaille depuis maintenant quinze ans. On a un parcours assez similaire. Nous avons été distribuées au sein de différents spectacles de Thomas Jolly, pour la compagnie La Piccola Familia. Nous nous sommes alors rencontrées sans s’être choisies.
Cette rencontre est devenue de plus en plus forte avec le temps, elle s’est solidifiée petit à petit. Notamment avec Richard III de Shakespeare, mise en scène de Thomas Jolly. Nous y avons deux rôles de reines. Elle, la reine Élisabeth. Moi une reine déchue : la reine Marguerite. Nous interprétons deux femmes fortes, deux grands rôles féminins. Nous avons trouvé une sorte de sororité de plateau, une belle complémentarité. Et j’ai eu le désir de nous mettre en scène, et transformer notre réalité d’actrices « choisies » par un tiers en actrices qui se choisissent mutuellement.
Les deux personnages principaux sont deux actrices mais elles auraient pu avoir un autre métier. Je parle de deux femmes avant tout.
Deux femmes... qui s’échappent… ?
Oui. Il s’agit d’une odyssée émancipatrice. Pour Émeline et moi comme pour les deux personnages que nous interprétons qui, au volant d’une voiture, fuient un système.
Les verbes « partir », « fuir », « se libérer » sont les trois piliers de cette écriture, qu’est-ce à dire ? Sont-ils à envisager comme des parties ?
Ces verbes concernent les deux femmes mais aussi et beaucoup la voiture… qui parle ! Elle fait son voyage à travers ces termes et ce qu’ils incarnent. Sans être des chapitres, une certaine porosité existe entre ces verbes malgré tout.
Le premier rêve que j’avais était de raconter une sensation, cette sororité mais uniquement à travers des non-dits, un voyage mais fantasmé.
Puis j’ai été rattrapée par la nécessité d’un récit pour le spectateur. Dans cette dualité là, j’ai découvert Ursula Le Guin et la théorie de la fiction-panier. Une théorie ancrée à la Préhistoire. Les hommes et les femmes y étaient chasseurs-cueilleurs mais à 90 % ils étaient cueilleurs. La première chose qu’ils ont eu besoin de confectionner a été de quoi porter et transporter la cueillette, un panier. Seulement ensuite sont venues les lances. L’instinct combatif a pris le dessus dans les imaginaires et les représentations. On a représenté le mammouth, la lance et non le panier. Cette théorie nous dit que le désir de récits avec actions viendrait de là, d’une interprétation, d’une représentation.
Je réponds toutefois aux codes d’un récit avec Échappées, je propose une véritable fable. Mais à partir de la deuxième partie du spectacle, l’odyssée se fait de plus en plus onirique.
Je me suis posée la question du polar. Il y a un drame. Il y a une scène de violence, mais pulsionnelle.
Quelles sont ou de quelles natures sont tes inspirations ?
Elles ont été assez cinématographiques au départ. Les films de David Lynch beaucoup.
Une autre grande inspiration est Anne Dufourmantelle, psychanalyste et philosophe, notamment son essai Éloge du risque. Dernièrement j’ai été saisie par le film Nomadland de Chloé Zhao. Une histoire de femme par une réalisatrice. Une histoire d’amitié qu’on perçoit par touches légères, une histoire de petites choses…
J’aimerais aussi citer Chaveta de Jéromine Pasteur, un ouvrage qui m’accompagne depuis mon adolescence, où elle raconte sa pulsion de tout quitter pour aller vivre en Amazonie au sein du peuple Asháninkas. Cette autrice est très présente dans ma démarche, dans mon processus de création, sans être directement citée.
Échappées traite de cette espèce de pulsion de partir, c’est ça qui m’a guidée, la question des impulsions, de l’instinct…
Le spectacle parle d’ouverture, d’une échappée, mais courte, furtive, romantique donc ! Il ne s’agit que d’émotions, ça ne passe pas par la réflexion mais par la sensation. Ce sont des anecdotes mais qui font la grande histoire. Je crois beaucoup à ça, aux petites choses qui font les grandes.
À quoi échappes-tu Charline Porrone ?
J’échappe à la mort. En permanence. La création quelle qu’elle soit n’est qu’une échappatoire à la mort pour moi.
Quelle serait ta route idéale ? Ton échappée à toi ?
Celle que je ne connais pas. Je n’ai jamais voulu avoir une route tracée. Je n’ai pas d’objectif si ce n’est vivre au mieux le présent.
Propos recueillis par Jenny Dodge - juin 2021