théâtre
MERLIN ou la terre dévastée

RODOLPHE DANA

27 Jan. ► 03 Fev. 2010

© Les Possédés

de Tankred Dorst | avec la collaboration de Ursula Ehler
création du collectif Les Possédés | dirigée par Rodolphe Dana

Un grand auteur contemporain allemand revisite la légende des chevaliers de la table ronde. Une généreuse et folle épopée théâtrale dont s'emparent Les Possédés, un collectif de douze acteurs que le public angevin a pu apprécier avec deux belles mises en scène d'oeuvres de Jean-Luc Lagarce.¬†

Merlin est une pièce écrite au début des années 80 par Tankred Dorst, un auteur allemand né en 1925. Cette oeuvre monumentale, riche d'influences, entre Shakespeare et les Monty Python, raconte une histoire de notre temps : l'échec des utopies dans un monde comparé à une terre dévastée. Elle rapporte le mythe de la Table ronde à une dimension humaine. Les héros se trompent, doutent, aiment, trahissent. Et lorsqu'il faut arrêter la guerre et partir à la quête du Graal, certains délaissent leurs rêves héroïques et s'emparent du pouvoir pour l'argent, le prestige et les femmes.

Les acteurs du collectif Les Possédés ont créé depuis 2002 de très fortes rencontres avec le public par le partage d'une parole intime. Le public du Quai les a découverts avec Le pays lointain et Derniers remords avant l'oubli, deux oeuvres de Jean-Luc Lagarce. Avec Merlin, il s'agit d'en venir à un théâtre plus physique, plus concret, où les corps se font l'expression de toutes les pulsions. Rodolphe Dana veut confronter le naturel de leur théâtre à la flamboyance du conte. Sans rien perdre de la puissance joyeuse de l'épopée, il s'agira d'explorer le juste écart du jeu qui sépare l'acteur du héros, le héros de l'humain.

Créé à Paris cet automne à La Ferme du Buisson, Scène nationale de Marne-la-Vallée, Merlin ou la terre dévastée est un spectacle coproduit par le Nouveau Théâtre d'Angers. Les douze acteurs ont travaillé lors d'une longue résidence de création dans la scène de répétition du Quai en avril 2008.¬†

Notes de travail
Monter Merlin, c'est aussi revenir à la source d'un mythe qui réinterroge, de manière grave et ludique, les thèmes fondateurs de notre civilisation occidentale : le bien et le mal, la figure du héros, la trahison, l'utopie, l'immortalité, la foi, la transmission, le pouvoir, la loi, la tentation, le paradis perdu, la culpabilité, la sexualité, la pureté, la nature...
Cette légende, jeune de mille ans, on la colportait oralement de village en village, pour qu'enfants et adultes s'identifient aux héros, qu'ils apprennent le sens des valeurs et puissent grandir armés de principes forts et clairs. Ces histoires n'ont jamais changé. Dans la forme peut-être, mais pas dans le fond (...).

Chez Tchekhov et Lagarce, il fallait en passer par la parole, l'intime de la parole, pour atteindre à l'émotion des corps, une façon de tendre à l'universel. Chez Dorst, le trajet semble inverse : nous devrons passer par les pulsions des corps pour atteindre à l'intime de la parole, autre façon de tendre à l'universel. À une époque où tout s'analyse et se comprend, il me semblait nécessaire et rafraîchissant de se plonger dans un théâtre instinctif, où la vie est avant tout une réalité à éprouver. Et par la même occasion, redonner à ces mots-là instinct, pulsion, une signification moins péjorative qu'aujourd'hui, une légitimité civilisante. Chaque homme porte en lui, à égalité, une part d'humanité et d'inhumanité. C'est de ça aussi dont parle Merlin, les forces de construction et de destruction qui sont à l'oeuvre en chacun de nous et qui font de nous des êtres, par essence, fondamentalement bons et mauvais.
Il y a aussi du jeu dans Merlin, du jeu théâtral, du théâtre dans le théâtre, comme on dit. Beaucoup plus que chez Lagarce et Tchekhov. Du jeu au sens noble, pur et archaïque du terme‚
Dans l'histoire de Merlin, nous avons pensé que cette bande de chevaliers, ce pouvait être nous, notre collectif, notre désir de vivre, de penser, de croire et de créer ensemble. Poursuivre cette quête à chaque spectacle, et espérer à chaque représentation atteindre notre Graal : cette communion sensible entre le public, l'oeuvre et nous. (‚ .)

Rodolphe Dana