Opéra
LA TRAVIATA

GIUSEPPE VERDI

16 Juin ► 18 Juin 2013

© BaljitSinghDeodeostudios.com

Les courtisanes se cachaient pour mourir quand la passion leur donnait enfin une raison de vivre. D'avoir trop aimé leur liberté, elles avaient perdu la liberté d'aimer. Ainsi de Violetta, la dévoyée. Grisée de son succès auprès d'hommes qui l'adoraient autant qu'elle les méprisait, rieuse égarée dans les salons du plaisir et la futile compagnie de trop bruyantes assemblées, elle s'était oubliée. Mais il avait suffi qu'un Alfredo, transi de sentiments, forçât les riches velours de sa vénale insouciance et lui parvînt au cour pour qu'elle lui abandonnât aussitôt une fleur de camélia. Plus encore, sa vie. Avant que l'une et l'autre ne finissent par se faner.
Dès les premières notes de son ouverture, limpide et grave, Giuseppe Verdi mène au drame final. Ni l'entrain des fêtes, ni les joyeux éclats du chour, ne distrairont sa musique de la romantique noirceur dans laquelle il a voulu que vive et meure La Traviata. Le fol amour peut bien s'y chanter magnifiquement, l'éphémère espoir adoucir les plaintes, Violetta est condamnée à bouleverser.

" Un amour vrai, pour moi, serait-il un malheur ? Que rEsous-tu, oÃÇ mon âme troublEe ? Nul homme encore ne t'avait enflammEe... OÃÇ joie Que je n'ai pas connue : eÃÇtre aimEe en aimant ! " Violetta Valéry, La Traviata

Alexandre Dumas fils affirme que, " n'ayant pas encore l'âge où l'on invente ", il " se contente de raconter ", précise que " la personne qui [lui] a servi de modèle pour l'héroïne de La Dame aux camélias se nommait Alphonsine Plessis, dont elle avait composé le nom plus euphonique et plus relevé de Marie Duplessis ". Évidemment, cette star des courtisanes, aperçue au théâtre quand ils ont vingt ans, qui bouleverse sa vie quelques mois avant de pimenter celle de Liszt, de devenir comtesse de Perrégaux et, ruinée par trop de dissipations, de mourir de phtisie à vingt-trois ans, est l'une des sources d'inspiration de son roman. Pourtant, ce recours au " vécu " participe aussi d'une autre préoccupation, purement esthétique, celle de peindre l'époque avec une vérité qui augure un naturalisme que Zola portera au plus cru avec Nana.
Giuseppe Verdi assiste à la pièce, adaptée par Dumas de son roman, l'année qui suit la création à Paris. Deux ans plus tard, elle est La Traviata qu'une prude direction de La Fenice de Venise exige de prEsenter comme un drame du dEbut du XVIIIe siècle pour en diluer le propos audacieux en des temps révolus quand le compositeur tient à ce qu'elle soit, pour la première fois sur la scène lyrique, un reflet sans concession de la sociEtE de son temps. Son vou ne sera exaucé qu'en 1906, cinq ans après sa mort.
Les faiblesses du cour rapprochent romancier et compositeur, mais la brève passion du jeune Dumas n'est pas la mure liaison que Verdi entretient au même moment avec la chanteuse Giuseppina Strepponi. Il n'y a pas chez Verdi cette haine du péché que nourrit depuis l'enfance le fils illégitime d'Alexandre Dumas pour celles, comme les nombreuses que fréquentait son père, dont " le corps a usE l'âme, les sens ont brûlé le cour, la débauche a cuirassE les sentiments ".
Au contraire, Verdi aime son héroïne autant qu'il aime Giuseppina, celle qu'il épousera en 1859 pour l'imposer à la bonne société qui la méprise. Il semble souffrir son martyre, aimer comme elle aime, et quand il dit de Paris " qu'au milieu d'un tel vacarme il [lui] semble eÃÇtre dans un dEsert ", on croirait entendre sa Violetta. La mort de sa mère en 1851, ses ennuis financiers du moment, le rendent encore plus sensible au destin de La Traviata à laquelle il offre ainsi une telle modernité, une telle véracité, que les plus grandes chanteuses rêvent depuis de l'incarner, de retrouver l'émotion que Verdi y a laissée : " J'ai adoré cet art, et je l'adore toujours ; quand tout seul, je me débats avec mes notes, mon cour bat, les larmes me coulent des yeux, mes émotions et mes joies passent toute description ".