théâtre
DON QUICHOTTE

Cie DU 3ème OEIL

23 Oct. ► 25 Oct. 2007

© Antonio Saura

D'APRÈS MIGUEL DE CERVANTES / ADAPTATION ET MISE EN SCÈNE PHILIPPE ADRIEN


Nous avons tous en tête une image de Don Quichotte : son allure dégingandée, son cheval Rossinante, sa lance, son serviteur rondouillard Sancho Pança, les moulins à vent, etc‚

Au-delà des clichés, comment ne pas voir les liens étroits qui nous relient. Son opiniâtreté, sa recherche de la justice, et surtout son aveuglement apparent ou plutôt la capacité de transformer la réalité pour qu'elle corresponde à ses rêves ?
" Don Quichotte est curieux de tout. Et dans son errance rien ne l'arrête. Ce qui fait la modernité de ce personnage, c'est que tout l'intéresse, et qu'il est toujours prêt à s'engager pour une cause. Don Quichotte, l'empêcheur de tourner en rond, nous oblige à pousser la réflexion dans nos choix. Don Quichotte, Chevalier errant moderne ? " s'interroge Bruno Netter.

" Don Quichotte est un aveugle ! ajoute Philippe Adrien. C'est à nos yeux la bonne raison du désir de Bruno Netter d'incarner ce personnage mythique. Si les mal logés, les SDF ont choisi de se définir comme ‚Äùenfants de Don Quichotte‚Äù, c'est-à-dire comme liés à un mythe né il y a plus de quatre cents ans, cela mérite d'être interrogé. " Un Don Quichotte politiquement incorrect qui jette un pont entre passé et fiction, mythe et réalité‚


"Le théâtre comme grand explorateur, grand chercheur, grand pourfendeur de sens, faux-sens, contes et légendes‚ Il est peu de lieux de liberté aujourd'hui où les quêtes les plus extravagantes soient possibles, souhaitées. Parce qu'il coûte peu cher à la collectivité ‚Äì toutes proportions gardées ‚Äì et n'intéresse guère les puissances d'argent, le théâtre reste de ces zones privilégiées où peuvent encore se voir et s'entendre des aventures humaines singulières. Monter Don Quichotte, de Cervantès, est de celles-là. Si mythique qu'il soit, le célèbre " chevalier à la Triste Figure " de la littérature espagnole n'est pas dans l'imaginaire hexagonal une figure scénique évidente. Surtout quand on veut ‚Äì dans le même spectacle ! ‚Äì relier cet ardent idéaliste ibérique au combat des SDF du canal Saint-Martin qui se revendiquèrent de lui l'an passé, les fameux " Enfants de Don Quichotte ". Et faire ‚Äì de surcroît ! ‚Äì interpréter la pièce par quelques acteurs handicapés (on ne s'en rendra pas compte de toute la représentation). Mais le patron du Théâtre de la Tempête, Philippe Adrien, est un indispensable utopiste. Plein de foi dans le rôle esthético-psychanalytico-politique du théâtre, il réussit à conjuguer les défis.
Au fond du plateau nu, juste un grand écran vidéo circulaire. Entre autres images de flammes ou de paysages, on y voit surgir, de temps en temps, des visages d'acteurs incarnant les SDF " enfants de Don Quichotte " et observant, du haut de leur canal Saint-Martin, le spectacle consacré à leur saint patron et à ses mésaventures. Lesquelles vont bon train, stylisées côté grotesque, avec magnifiques clins d'oil à Vélasquez et Goya. C'est grand art que de retrouver, avec quelques costumes, masques, postures étranges et grimaces, tout un imaginaire farcesque et délirant, empli de fantasmes, de terreurs et de rires tout ensemble. Philippe Adrien et sa bande y parviennent à plaisir, émerveillant le public de leurs trouvailles visuelles et gestuelles au bord du fantastique. Tel le couple dédoublé de Don Quichotte et Sancho Pança, quatre acteurs en constant miroir ‚Äì dont un géant et un nain ‚Äì qui apportent à la représentation une troublante mise en abyme. Car, bien sûr, les élans de Don Quichotte ne sont pas si ridicules ni grand-guignolesques qu'on pourrait le croire ; ils révèlent au contraire les incohérences et cruautés d'une société pas si loin de la nôtre. Don Quichotte, un justicier derrière lequel se cache Cervantès, contempteur ironique de son siècle ? Si la vidéo des SDF réinventés est parfois pesante et naïve, ce Don Quichotte-là, droit sorti d'un cirque barbare, renouvelle le mythe de saignante et burlesque façon.
Et l'on comprend soudain la violence des scènes légendaires du grand livre, trop souvent caricaturées sous nos climats."

Fabienne Pascaud
Télérama n¬∞ 3010 - 22 Septembre 2007

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